L'esprit de Noël

« Ho ! ho ! ho ! »

Alexandra se redresse en sursaut, réveillée par le rire sinistre qui raisonne dans la nuit noire. « Oh non ! Le 25 décembre, déjà ?! ».

Elle rejette violemment la couette qui la recouvrait et se précipite dans le couloir sans prendre le temps d'enfiler les confortables pantoufles en forme de lapins qui attendaient patiemment au pied du lit. Martelant de ses pieds nus le parquet froid, elle traverse la maison en trombe et ouvre brusquement la porte de la chambre des enfants.

« Michael ! Emma ! Debout ! Il faut aller au bunker, vite ! » Quelques secondes lui sont nécessaires pour s'habituer à la lumière et réaliser que la pièce est vide. Paniquée, elle repart en sens inverse et déboule dans le salon, manquant trébucher sur un jouet d'Emma mal rangé.

Elle se fige, glacée d'horreur. Devant elle se trouvent ses deux enfants, Michael, 7 ans et Emma, bientôt 5 ans, nez collés à la fenêtre, visages déformés par des sourires hystériques.

« Maman, c'est le Père Noël !
— Ho ! Ho ! Ho ! »

À travers les volets entrebâillés, on aperçoit dressée à quelques dizaines de mètres de la maison une silhouette massive, menaçante, mains gantés sur des hanches engoncées dans une houppelande rouge sang. Le visage rejeté en arrière, le terrible avatar de l'Esprit de Noël pousse un rugissement à glacer le sang d'un bonhomme de neige.

« HO ! HO ! HO ! »

Terrorisée, Alexandra se saisit de sa progéniture et l'entraîne tant bien que mal vers le bunker, seul endroit où ils seront en sécurité. Malgré la température réduite qui règne dans la maison en cette nuit de décembre, c'est la peur qui la fait frissonner. « Je vous l'avais dit ! Je vous avais dit qu'il fallait être sage ! s'écrit-elle sans lâcher les mains d'Emma et Michael. »

Elle parvient à la porte du bunker et laisse échapper un gémissement d'angoisse. La clé ! Où est cette fichue clé ? Seul un effort monumental lui permet de ne pas céder à la panique. Inspirant profondément, elle tente de se remémorer ses gestes de l'année précédente. « Où ai-je rangé cette satanée clé ? » Dans un éclair, l'image lui revient. Le tiroir de la commode, à côté du lit.

« Michael, Emma, ne bougez pas d'ici ! Je vous interdit de bouger ! Maman revient. » Ses enfants, qui maintenant ne sourient plus du tout, la regardent s'élancer et disparaître au coin du couloir qui mène à la chambre de leurs parents.

Alexandra pénètre dans la pièce comme un boulet de canon, se précipite pour ouvrir la commode et fourrage dans les tiroirs, projetant culottes, chemises et pantalons en toutes directions. « Ou. Est. Cette. Fichue. Clé !? rugit-elle. »

C'est alors que la lumière s'éteint brusquement. Dans l'obscurité absolue, une certitude s'abat sur elle. La cheminée. Il est entré.

Avec la fébrilité que seul confère le désespoir le plus absolu, elle sort de la chambre à tâtons, insensible à la douleur de ses orteils nus cognés contre la plupart des meubles qui se dressent sur son chemin. Je sais qu'ils n'ont pas été des anges, mais pas eux. Pas mes enfants. Pas des lutins.

Elle revient sur ses pas et pousse un cri de terreur. Dans la pénombre à peine adoucie par la froide lumière provenant de l'extérieur, elle discerne la massive silhouette du Père Noël qui martèle de ses bottes le plancher du couloir, franchit le seuil de la porte et s'élance dans le froid. Sous chacun de ses bras, pleurant, hurlant, gémissant, l'un de ses enfants. Sa chair. Sa vie.

Elle s'élance frénétiquement à sa poursuite, mais le monstre est trop rapide ; en quelques enjambées, il a rejoint son funèbre traîneaux, y a jeté les enfants comme de vulgaires paquets, et d'un coup de fouet mis en branle l'attelage de cerfs aux yeux rougeoyants. Avant qu'Alexandra ait pu les rejoindre, le sinistre convoi s'est envolé et disparait déjà dans la nuit noire.

Elle tombe à genoux dans la neige, les yeux brouillés de larmes déjà glacées. Des lutins. De vulgaires lutins.

Joyeux Noël.