Qu'est-ce qu'une bonne photo ?

Le mauvais photographe, il voit un truc, il déclenche. Le bon photographe, il voit un truc…

Une épave de voiture abandonnée en pleine forêt

Avant d'être papa et donc en déficit permanent de sommeil, j'adorais me lever aux aurores pour prendre des photos de paysage au Soleil levant. Je voulais prendre les meilleures photos possibles. Mais prendre de « meilleures photos » implique qu'il existe de bons et moins bons clichés.

Par conséquent, il faut bien se poser la question : qu'est-ce qu'une bonne photo ?

Je me suis amusé à essayer de déterminer les éléments qui font qu'une photographie est de plus ou moins bonne qualité. Évidemment, ce n'est qu'un exercice de l'esprit à prendre avec des pincettes, et sans doute pas trop au sérieux.

Par ailleurs, si certains éléments objectifs permettent d'analyser techniquement un cliché, on ne peut pas évacuer totalement l'aspect subjectif. Après tout, une photo de famille pourra être toute floue et mal cadrée et néanmoins avoir une grande valeur sentimentale pour son auteur.

Bref ! Le but n'est pas de juger, mais de se donner un outil, une échelle de progression à l'aune (mot compte triple) de laquelle on pourra mesurer ses progrès.

Niveau 0 : la photo ratée

Une photo ratée
Fortement alcoolisé la nuit dernière, j'ai intitulé ce chef d'œuvre « flou aviné ».

Peut-être avez vous été bousculé·e par tonton René au moment de déclencher ; ou aviez vous oublié que vous étiez resté·e en mode manuel ; ou vous vous êtes assis·e sur la télécommande ; ou vous avez déclenché par inadvertance alors que vous utilisez votre appareil pour vous défendre contre l'attaque d'une tribu d'écureuils enragés ; ou vous étiez simplement sous acide durant le post-traitement…

Quoi qu'il en soit, elle est floue, mal exposée, mal cadrée… Inutile. C'est juste une photo ratée.

C'est le genre de cliché qui n'a aucun intérêt, et qui prend de la place pour rien sur la carte mémoire. Hop ! poubelle !

Niveau 1 : la photo techniquement ok, mais c'est tout

Des zuris en paille
Je vends mes sandales en paille sur le bon coin.

Elle n'est ni floue, ni mal cadrée, et plutôt pas trop mal exposée. Le post-traitement n'a pas saccagé les couleurs. Techniquement, on ne peut rien lui reprocher. Mais il n'en reste pas moins que cette photo n'a aucun intérêt.

C'est ce qui arrive quand une photo n'a aucun sujet clairement défini. Ou quand le sujet est banal à pleurer. Ou traité d'une manière particulièrement peu imaginative, du genre « je vois un truc, je vise, je déclenche ».

Ce genre de photographie procure un sentiment d'ennui insupportable, et laisserait au lecteur un arrière goût amer s'il pouvait se résoudre à la contempler plus d'un quart de secondes, ce qu'il n'a aucun intérêt à faire.

C'est le genre de photo qu'on peut prendre quand on n'y connait rien, qu'on vient d'acheter un petit compact, et qu'on photographie tout ce qui bouge. Ou quand on veut vendre les cadeaux de noël ringards offerts par tatie Germaine sur le Bon Coin.

Niveau 2 : la photo « juste jolie »

Des nuages roses vifs juste après le coucher du soleil
Cette photo n'est certes pas moche.

Quand on dit d'une personne qu'elle est gentille, c'est généralement qu'on n'a pas grand chose d'autre à dire sur elle. — Quelqu'un

Une photo, c'est un peu le même principe. On dit d'une photo qu'elle est « jolie » parce qu'il n'y a pas grand chose de plus à en dire.

Certes, les couleurs sont chatoyantes ; certes, les contrastes attirent l'œil ; certes, cet arrière plan flou est du plus bel effet. C'est le genre de photo qu'on aime partager sur les réseaux sociaux, qui recevra quelques « like », et peut même faire un fond d'écran convenable.

Une photo qui sait se faire oublier rapidement, en somme.

L'exemple typique, c'est la photographie de nuages. Ou le cliché du tapis de feuilles mortes en automne avec une faible profondeur de champ. Encore une fois, une photo sans véritable sujet, sans véritable intérêt, sans ingéniosité dans le traitement. Ça attire l'œil, mais l'œil repart aussitôt, déçu. C'est beau, mais ça ne casse pas trois pattes à un canard, et ça laisse un petit goût d'insatisfaction dans la bouche.

Niveau 3 : la photo intéressante

Une épave de voiture abandonnée en pleine forêt
N'y a-t-il pas une atmosphère de mystère qui se dégage de cette image ?

Comme son nom l'indique, la photo intéressante présente un certain… intérêt. C'est à dire qu'elle traite d'un sujet clairement défini, servi par une composition capable d'attirer et retenir l'œil.

Que ce soit au niveau du cadrage, de l'exposition, de post-traitement, on sent qu'il y a de la recherche, une véritable volonté de la part du photographe. Le hasard, cette fois ci, n'y est pour rien, ou alors pas trop.

La photo intéressante est capable de susciter une réflexion, de déclencher une émotion, d'attiser la curiosité du lecteur. L'aspect technique est suffisamment maîtrisé pour commencer à s'effacer et laisser la place à l'aspect artistique.

Si c'est une photographie de paysage, l'auteur aura attendu la bonne lumière, et pris garde à correctement restituer l'atmosphère et l'impression de profondeur. Si c'est une photo de rue, elle illustre une véritable scène de vie. Si c'est un portrait, le modèle est mis en valeur.

Bref ! L'image n'est plus capturée par hasard, c'est le photographe qui impose sa volonté.

Niveau 4 : la photo captivante

Une geisha montant
l'escalier du métro japonais
Le sujet, la composition, les couleurs, tout illustre ici le contraste entre ancien et moderne, entre tradition et technologie. Le paradoxe japonais en une seule photo.
Kyoto, Japan. Steve McCurry

La photo captivante est un cliché qui raconte une histoire. C'est une image qui vaut mille mots.

La composition, magistrale, captive l'œil et semble ne plus vouloir le laisser partir. Les couleurs, les contrastes confèrent une atmosphère qui ravit l'esprit. Le post-traitement est invisible. Absolument tous les éléments techniques servent le sujet de la photo, aucun élément parasite ne subsiste.

Le sujet, quand à lui, présente une certaine profondeur. Un phénomène de société. Une scène de vie particulièrement truculente. Un paysage véritablement grandiose.

C'est une photographie qu'on pourrait contempler et analyser pendant des heures, une photo sur laquelle on pourrait écrire des dissertations. Une photo qui raconte. Une photo qui témoigne. Une photo qui suscite une réflexion profonde, qui fait rire ou pleurer.

C'est une photo de maître.

Niveau 5 : la photo historique

L'homme de
Tian'anmen
L’Homme de Tian’anmen
Jeff Widener

La photo historique, c'est un peu comme une photo de famille, mais à l'échelle d'une culture ou d'une nation. Peu importe qu'elle soit floue, un peu mal exposée, un peu mal cadrée. Tous ces éléments s'effacent devant la profondeur et la puissance du sujet.

Une photo de ce genre ne se suffit pas à elle même. Elle doit être restituée dans son contexte historique pour donner toute sa mesure.

C'est une photographie que tout le monde a vu ou verra, et qui restera bien après que son auteur aura été oublié. Une photo qui a marqué son époque, imprégné la conscience populaire, illustré un événement historique majeur, et sera imprimée dans les livres d'histoire.

Bonus, niveau -1 : la photo horrible

En bonus, je vous propose le niveau -1. Accrochez vous, ça pique.

Qu'est-ce qui peut être pire qu'une photo ratée ? Et bien, une photo volontairement saccagée, par exemple par un post-traitement réalisée à la machette, ou en utilisant des techniques de HDR un peu violentes.

Je vous mets un exemple ?

Shitty hdr portrait

Je vous avais prévenu : ça pique !