J'ai vu la médecine du futur, et elle fait plutôt peur

Old school doctors and nurses

Vendredi dernier (le 15 mars), j'ai assisté en bonne compagnie à l'édition 2013 de TEDxMontpellier. Le thème : « e-Medecine et prospectives humaines ». Comment les innovations technologiques font naître de nouveaux usages médicaux, et quelles évolutions vont naître de la convergence des TIC et de la médecine dans le domaine de la santé.

Sur la qualité globale, rien à redire. Chapeau à l'équipe, d'autant que je connais le travail nécessaire à l'organisation de ce genre d'événements. Lieu prestigieux. Accueil sympathique. Mention spéciale au traiteur sélectionné, j'en salive encore.

J'émets toutefois une trés lourde réserve quand au contenu même des conférences.

Évidemment, l'innovation appliquée à la médecine pourrait être un domaine enthousiasmant. Quel geek romantique ne verrait pas son imagination s'enflamer face à une main bionique ? Quel développeur web ne pourrait admirer l'utilisation de réseaux sociaux pour permettre aux patients atteints de maladies rares d'échanger de l'information ? Comment un ingénieur ne s'extasierait-il pas devant l'utilisation de fiches médicales informatisées destinées à faciliter la prise en charge de ces patients par n'importe quelle équipe soignante. Si seulement…

Car ces fiches médicales sont centralisées, gérées et stockées par une boîte privée. Le réseau social dont nous parlions est mis en œuvre par une startup. Cette fameuse main bionique est elle-aussi conçue par un organisme à but lucratif. Et ce ne sont que les exemples les plus marquants que j'ai retiré de cette journée.

Du hacker à la multinationale

Après avoir discuté avec quelques-uns de ces « médecins 2.0 », je crois n'avoir rencontré aucun esprit hacker. Je n'ai trouvé aucune sensibilité à des concepts primordiaux tels que l'open-source, la propriété des données personnelles, l'interopérabilité des services, la bidouillabilité, ou le danger des systèmes centralisés et propriétaires. D'ailleurs, plusieurs d'entre eux ont brandi leur propre iPhone en l'érigeant en exemple pendant leur présentation. Malaise.

En me rendant à cette conférence, je m'attendais à découvrir une nouvelle médecine dont pourraient s'emparer les patients, comme l'utilisateur s'est approprié le logiciel grâce au libre. J'aurais été exalté de découvrir des membres artificiels réalisables à l'imprimante 3d grâce à des modèles open-source. Des outils logiciels disponibles librement auxquels chacun pourrait contribuer. Des laboratoires biotechnologiques personnels en kits disponible pour quelques dollars, et vendus par des organisations à buts non lucratifs. Des réseaux de patients auto-gérés et démocratiques. Des recettes pour des remèdes ou des tests génétiques réalisables à la maison.

Mais l'exaltation a cedé la place à la consternation. j'ai découvert un univers corporatiste, principalement motivé par le profit, ou industrie pharmaceutique privée, médecins et centres de recherche frayent impudiquement, rivalisant de naïveté ou de mauvaise foi pour ne pas voir l'ampleur des conflits d'intérêts en jeu.

Ces médecins 2.0 sont-ils naïfs ? Nous ne le sommes pas, et nous savons bien avec quelle facilité l'impératif commercial peut pervertir toute entreprise, aussi nobles soient ses buts de départ. On sait déjà que les laboratoires n'hésitent pas à faire crever des africains pour préserver leurs bénéfices.

Peut-on hacker la médecine ?

De cette impasse, il existe une possibilité de sortir. N'est-il pas temps de désacraliser le médecin ? D'importer l'esprit d'entraide, de coopération, de partage de connaissance qui règne parmi la communauté des hackers ? De comprendre que laisser de grosses multinationales faire du business avec notre santé est intolérable, et développer non pas une médecine alternative, mais parallèle ? Mais après ce que j'ai vu, j'ai bien peur que nos médecins 2.0 n'aient pas emprunté cette voie.

Je comprends que l'on parle de santé humaine et de données hautement confidentielles. Les enjeux sont différents de ceux du logiciel libre, et les défis sont tout autre. Après tout, on n'ingère pas un médicament maison comme on pourrait bidouiller un software maison : les risques sont d'une autre ampleur. Mais ça ne me parait pas un frein suffisant pour délaisser complètement la médecine aux mains de financiers qui ont déjà prouvé que leur porte-monnaie leur importe plus que votre santé.

À TEDxMontpellier, j'ai vu la médecine du futur. Un monde ou seuls les plus riches pourront s'offrir de belles prothèses et des tests génétiques pour leur garantir une progéniture sans faille. Un monde ou les plus démunis pourront toujours crever, faute de se payer l'accès aux remèdes hi-tech vendus à prix d'or. Peut-être que je force un peu le trait, et j'espère me tromper, après-tout, la médecine n'est pas mon domaine d'activité. Si c'est le cas, je suis ouvert à la discussion. Parce que pour le moment, cette médecine 2.0 ne me fait vraiment pas rêver.