La police de la civilité

— …
— De toutes façons, on peut dire ce qu'on veut, pour moi le mariage c'est un homme et une femme.
— C'est vrai, un gamin, il a besoin d'un père et d'une mère, sinon il peut pas être équilibré.
— Ouais !
— Ouais ! c'est vrai ! c'est la nature !
— C'est clair, sinon il va forcément devenir pédé.
— C'est à cause de ça qu'on se retrouve avec des générations de chômeurs. Tous ces parasites qui profitent du système.
— Ça c'est rien. L'autre jour, ma belle sœur a vu une femme voilée que sortait de la caf. Déjà qu'ils viennent nous piquer le travail, en plus ils ont droit à toutes les aides. Et ce sont nos impôts qui payent, ça c'est sûr.
— Pays d'assistés !
— Moi je suis pas raciste, mais ya encore une voiture qui a brûlé à deux rues de chez nous hier soir. Toutes façons, il suffit de regarder : chaque fois qu'il y a un problème, c'est la faute à ces gens là.
— Oh, sinon, vous avez vu le match hier ?
— Rhoooo ! ces pédés de l'OM, qu'est-ce qu'on leur a mis, ouaahh !
— POLICE ! Tout le monde à terre, les mains sur la tête !
— Quoi ? C'est quoi ce…
— La ferme ! À plat ventre j'ai dit ! Vous avez été pris en flagrant délit de beaufitude. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Et avec les enregistrements qu'on vient de récupérer, l'addition va être salée mes gaillards. Allez ! Emmenez-moi tout ça !

— Allo ?!
— …
— Je suis dans le train, là.
— …
— Je dis JE SUIS DANS LE TRAIN !
— …
— Ouais, bien et toi ?
— …
— Tu m'étonnes. Alors, tu racontes quoi de beau ?
— …
— Ouais, nous, on est partis avec Antoine sur la côte. Je te racontes pas les soirées ! On a revu Émilie, qui nous a hébergé quelques jours. Si tu la voyais, rhoo ! c'est devenu une vraie baleine. C'est un peu minable chez elle, mais bon, au moins on n'a pas payé l'hôtel. Tiens, d'ailleurs, t'as des nouvelles de Laurent ?
— …
— C'est pas vrai ?! Nooooonnn… Tu me diras, ça ne m'étonnes pas, je l'ai jamais trop senti ce mec. Attends attends ! quittes pas. Oui ?
— Police de l'incivilité, brigade ferroviaire. Veuillez me suivre madame.
— Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
— Téléphoner dans les wagons est un délit civique de deuxième catégorie. Vous êtes en état d'arrestation. Je vous demande de me suivre sans résistance. Si vous refusez de coopérer, je serai dans l'obligation d'appeler des renforts.
— Euh… Je te rappelle.

— Un problème, monsieur l'agent ?
— Montrez moi vos papiers, permis, carte grise, pièce d'identité.
— Voilà. Mais quelque chose ne va pas monsieur l'agent ?
— Police de l'incivilité, brigade routière. Vous avez été flashé par notre patrouilleur en plein changement de file sans clignotant.
— Mais monsieur l'agent, ce n'est quand même pas très grave, si ? Je veux dire, on n'arrête quand même pas les gens pour ça ?!
— Je vois que vous êtes récidiviste. Vous avez déjà reçu un avertissement le mois dernier pour utilisation agressive de l'avertisseur sonore. Je vais devoir vous demander de sortir du véhicule.
— Quoi ?! Mais avec tous ces cons sur la route, pourquoi m'arrêtez-vous moi ? Vous n'avez rien de mieux à faire ? Vous feriez mieux de vous occuper des vrais criminels.
— Monsieur, des comportements comme les vôtres empoisonnent la vie de millions de français. Je vous rappelle que la lutte contre l'incivilité est devenue priorité nationale depuis la grande consultation de novembre 2018. La loi Copé / Fillon de 2020 m'autorise à procéder à votre arrestation.

— Yo ! YO ! André ! Monte un peu le son, là !
— Eh ! mais ton verre est vide. Je te ressers ?
— Tu vois, le problème, aujourd'hui, c'est que les gens n'aiment plus travailler…
— Et alors, je lui ai dit…
— Quelqu'un veut du rosé ? Je vais quand même pas ouvrir la bouteille si je suis tout seul.
— Et alors, il m'a répondu…
— Aie gate euh filing… Wouuuuhouuuuu…

BLAM

— POLICE ! Tout le monde les mains sur le mur ! Lâche ce verre ! Lâche ce verre !
— Qu'est-ce qui se passe !?
— Police de l'incivilité, brigade sonore ! On nous a signalé des nuisances sonores après 22h. Montrez-nous vos permis civiques.
— Oh non, soyez-cool ! On peut quand même s'amuser un peu, non ? En plus, je n'ai plus que 4 points.
— Pas mon problème. Il fallait y penser avant d'emmerder tes voisins.
— …
— On embarque vos permis, vous viendrez les chercher demain au commissariat. Si votre décompte de points passe en négatif, vous devrez vous inscrire à un stage de bonnes manières, et porter le brassard réglementaire « Je suis un gros con » lors de vos sorties en dehors de votre domicile.

— Le bâtiment est encerclé, toutes les issues sont surveillées ! Tu ne peux pas d'échapper, Martoni. Rends-toi sans résister, et le jury en tiendra compte.
— Jamais ! Vous ne m'aurez pas ! Vous n'avez même pas de preuves ! Laissez-moi tranquille !
— On sait que tu es passé devant quelqu'un dans la file d'attente, à la Poste du centre ville. On a les enregistrements de la caméra de surveillance.
— Salauds ! J'étais pressé ! Et tous ces vieux à la retraite, ils sont obligés de faire leurs courses en même temps que ceux qui travaillent ?! Et puis ça ne serait pas arrivé s'il y avait eu plus de guichets ouverts.
— Sors tout de suite les mains sur la tête, ou je ne pourrai plus rien pour toi.
— Vous ne m'aurez pas ! Le premier flic qui entre, je lui jette un emballage de Twix vide aux pieds !
— Pour la dernière fois, rends toi Martoni, ou on enfonce la porte.
— Plutôt crever !

Une brigade défonce la porte, et s'engouffre dans le bâtiment. Des cris, des coups de feu.

— Équipe delta à central. La cible est neutralisée. Toute la zone est dégagée. Je répète, toute la zone est dégagée.
— Bien reçu, équipe delta. Beau travail. On rentre.